[Zik] Du Death-Funk de Bungle au Post-Punk FaithNoMorien

Voilà quinze jours que vous attendez ; voilà quinze jours que la vie de Mike Patton vous intrigue ; alors venez découvrir l’épisode 2, encore et toujours concocté par Lucius.


De Turd à Bungle

Mike Patton                                          Trevor Dunn                                  Trey Spruance

En 1984 Mike Patton se fait repérer durant un de ses concerts par le groupe Turd à l’âge de 16 ans, dont il se fait virer peut de temps après son intégration. Il décide alors de former un groupe avec Trevor Dunn, Trey Spruance entre autre lascars : Mister Bungle, c’est le nom d’un film de 1950 que le groupe trouve très drôle.

En parallèle, Slayer (groupe culte de Thrash Metal extrême) sort Reign in Blood, et Mike Patton l’écoute en boucle, très attiré par les musiques extrêmes dont le Death Metal, un style qu’il adore et sublime avec son chant hurlé dégageant une puissance hors du commun. Cet album de Slayer l’influencera longtemps. En 1985 Mister Bungle s’amuse à reprendre Macho Men (vidéo en lien dans l’article précédent) en concert où des métalleux se rendent, ce qui démontre déjà, une volonté du « No Limit ». La philosophie de tous les membres est simple : « Nous aimons la musique, alors pourquoi se limiter à un seul style ? ». Ces musiciens ne sont pas dans l’optique de se dire « Le métal doit être triste, froid, avec pour sujet la mort, etc. », mais au contraire « Faisons de la musique comme bon nous semble ! » Ils aiment choquer et mettre en évidence les paradoxes de leur époque, provoquer l’Amérique puritaine en représentant en chanson ce qu’elle a de plus malsain. A chaque album, les white-trash (nom d’une classe sociale de l’Amérique désignant des « blancs » vivant de bière, de foot, de caravane et de violence) de Mister Bungle se donnent des surnoms étranges, glauques, souvent liés à l’anatomie humaine comme « guts » (boyau), « skins », etc.

Leur musique est un mélange de Ska, de Métal, de Funk entre autres. Les paroles sont une allusion permanente à l’absurde, au porno, à la loufoquerie, au ridicule et à l’horreur dont je ne serais pas surpris si Bernie (du film de Albert Dupontel) en avait écrit les paroles… Le groupe s’amuse à apparaître sur scène masqué, déguisé en petites filles, entre autres délires Bungliesques. Mike Patton développe depuis tout petit un sens de l’humour faisant passer Bigard pour un poète. « Salut M’man ! Je vais me masturber dans ma chambre en regardant des filles nues » dit le jeune garçon afin d’énerver toute la famille en compagnie des voisins pour l’apéro. Si le jeune lionceau vit une existence paisible, il n’en demeure pas moins un fin observateur du monde qui l’entoure. C’est avec un plaisir malsain qu’il commencera à se jouer des codes de la société, de ses vices pour assouvir son désir de provocation à la limite du raisonnable que l’on retrouve au cœur de Mister Bungle.

Leur premier essai sonne très métal, avec une dominante Death Metal (l’influence de Slayer est prédominante), on y retrouve tous les clichés du genre. Un an plus tard, le groupe sort: Bowel of Chiley. On y retrouve Carousel, morceau que l’on redécouvrira plus tard sur leur premier album produit par John Zorn en 1991. Je vous laisse apprécier l’évolution du groupe en comparant cette version : Carousel 1987, puis Carousel 1991. Avant de choquer tous les fans de Faith No More, Mister Bungle sort en 1988 « Goddammit I love America ».Puis, en 1989 : OU818. Avec le recul, Mike dit à propos de Bungle version 1986 « Nous sommes des Nintendo Boy peu connectés au reste du monde ». Voilà qui résume très bien cette période du groupe (ce qui va bien changer par la suite…)

Beaucoup de personnes aimeraient revoir le groupe sur scène, mais Patton affirme « Les années lycées ne peuvent durer une éternité ». Les débuts de Mister Bungle, ne sont rien de plus qu’un délire d’ados nés dans un coin paumé dont le seul but était de faire de la musique provocante envers le monde bien-pensant de leurs parents…

La maturité viendra plus tard, en 1991 puis surtout en 1995 avec Disco Volante, énième album cité comme l’un des plus influents sur lequel Patton apparaît. Nous reviendrons en détails sur Mister Bungle, lors de leur trois prochain albums, tous légendaire, à bien des égards. A cette époque, Mike Patton se rend à un concert de Faith No More où il rencontre le groupe et leur laisse une K7 de Bungle… jusqu’au jour où Faith No More appelle Mike Patton « Hey, notre chanteur est viré, on a écouté ta K7, et si tu peux pondre en deux semaines les paroles de notre prochain album et que ça nous plaît, tu es pris dans le groupe »…

De Faith No Man à Faith No More :

De gauche à droite : Roddy Bottum, Billy Gould, Mike Bordin et Chuck Mosley

« C’est affolant de constater que le public ne veut écouter que ce qu’il connaît déjà » FNM

1980 : Bill Gould rencontre Mike Bordin et forme Faith No Man (il y a eu plusieurs participants mais leur intervention étant trop brève, je fais l’impasse ici, on peut néanmoins noter que Mark Bowen a eu sa chanson-titre). Là-dessus vient se greffer Courtney Love (veuve de Kurt Cobain, fondateur de Nirvana). Trop directive, elle sera virée très rapidement. Dans les mêmes eaux, Jim Martin sera conseillé à Mike Bordin, pote de Cliff Burton (le fameux bassiste de Metallica). Ces hommes ont pour seul point commun : fréquenter San-Francisco, LA ville du renouveau culturel américain à l’époque.

Pourquoi le seul point commun ? Parce que si, en apparence, tout le monde s’entend bien, en vérité, chacun n’en fait qu’à sa tête… mais avec osmose ! Si la batterie est influencée par les rythmes tribaux, cela n’empêchera pas le guitariste de balancer des riffs métalleux alors que le bassiste accompagnera la batterie en ajoutant des influences jazzy/funk, un chanteur tentant tant bien que mal de suivre ses petits camarades tout en ajoutant sa touche personnelle. Chuck (pote de Gould) a un style bien particulier, il aurait sûrement pu faire carrière, mais il s’endort sur scène, alors le monsieur sera viré et même frappé en plein concert par Gould.

Faith No More avec Jim Martin (à droite), en studio

Dès leur début (1980-1985), malgré un son médiocre, une attitude puérile mais plutôt sombre, ils se font respecter par les plus grands pour leur façon de jouer, en un mot: unique. Comme tous les précurseurs (Black Sabbath, Motorhead, Metallica, etc…), FNM sait s’inspirer d’un style (le rock) pour créer quelque chose de nouveau. Mieux encore, les 5 lascars vont créer un métissage musical de qualité. Le plus intéressant à mon sens, c’est Roddy Bottum car c’est lui qui détonne le plus dans cet environnement hétéroclite : nous sommes en 1980, il est gay, adore la musique Black, joue du synthé dans un groupe classé « Metal », vient d’une école de piano… Je ne vous fait pas de dessin.

Pour moi (et beaucoup d’autres), Roddy Bottum est l’élément qui fait la différence au sein de FNM à l’époque. 5 membres, 5 mentalités de pionnier, 5 caractères de « Je fais ce que je veux et j’t’emmerde », 5 Hommes avec du sang chaud dans les veines, 5 Hommes qui aiment autant l’alcool que la musique, 5 Hommes aussi bêtes qu’intelligents, aussi créatifs que destructeurs : Faith No More is Born (au début appelé Faith No Man). Je viens de vous résumer 5 années de leur vie, autant vous dire, que je n’ai rien dit, car c’est les 5 années du métal les plus importantes, foncez acheter tous les livres qui parlent de cette époque, c’est la plus prolifique qui soit, c’est le big-bang du Métal !

Entrons dans les entrailles de la bête sans foi, ni loi, avec leur premiers essais. Un EP en 1982 sorti des caves de San-Francisco, puis deux albums : We care a lot et Introduce Yourself, pour enfin connaître le succès commercial avec leur album le plus vendu – The Real Thing.

1982 : Quiet in Heaven / Song of Liberty. Deux morceaux perchés entre le Punk et le Gothique. C’est déjà Matt Wallace qui assure la production, et un certain Mike Morris qui assure le chant, un peu comme un Jello Biafra (chanteur de punk très connu pour son groupe Dead Kennedys) croisé avec Paul Di’Anno (premier chanteur de Iron Maiden, qui fondera plus tard The Killers). A l’écoute des morceaux, pas de doute, nous sommes bien en 1982. Regardez donc les tronches des gus à cette époque, ils participaient certainement à un concours pour le plus beau sourire…

Quelques lives de 1983 nous montre une ambiance très « subway » de la part du groupe dans lequel seul Mike Bordin et Billy Gould continueront le projet. Par manque de budget, le groupe devra se contenter de quatre morceaux. Puis, à force de concert, le groupe parvient à sortir son premier LP.

1985 : We care a lot est principalement une satyre à propos des artistes jouant de la misère sociale, économique, etc. pour continuer à vendre leur musique. Le reste de l’album annonce bel et bien un groupe hors limites. Matt Wallace, le producteur de l’époque (et jusque 1995), les encourage à aller plus loin dans leur fusion tout en gardant leur style enragé. La team est au complet : Jim Martin, guitariste du groupe, est arrivé pour cet album.

1987 : Introduce Yourself, où nos 5 soldats de la liberté ont une rage adolescente à l’époque et souhaitent créer les morceaux les plus agressifs possibles tout en allant, grâce à Jim Martin, chercher l’inspiration dans des mélodies plus travaillées que les morceaux très agressifs de Eazy-E (jeune rappeur de la West-Coast et ami/ennemi de Dr. Dre)dont le groupe s’inspire. Faith No More va donc puiser son inspiration dans tous les styles de musique et d’artistes, tant que leur son reste enragé (Matt Wallace décrira très bien le groupe un peu plus tard). Pour ceux qui ont vu Chinese arithmetics en live version 2009, ce morceau n’a pas à rougir d’un « Cuckoo for caca » (morceau très violent que sortira le groupe en 1995) ou d’un Battery de Metallica ! Introduce Yourself, c’est du rock dur et poignant, avec un fond de funk, de Jazz et de gnôle que l’on ne trouve que dans les patelins les plus paumés du monde.

« Comme des junkies sous le coup de la culpabilité et/ou de la cupidité, certains Hommes d’influence se mettent à aimer ce qui, en temps normal, ferait l’objet de leur haine la plus grande. Juste pour nourrir et soulager leur excès de luxe. C’est le couteau sous la gorge que l’on apprend qui nous sommes réellement. » Cette philosophie représente l’ambiance glauque de ce premier véritable album de Faith No More. On rit de tout ici : We care a lot (traduction : On s’en soucie) avec tristesse et sans tendresse, mais avec humour et dérision.

Ces deux premiers albums (We care a lot et Introduce Yourself) sont de loin les plus mal jugés et appréciés selon moi. Or le groupe met un point d’honneur à leur rendre hommage : leurs derniers concert contiennent au moins deux titres de cette époque Spirit et As the worms turns. Why do you bother est régulièrement intégré aux playlists live du groupe. A juste titre : ce sont des morceaux heavy, hardcore, puissants et uniques. Le synthé de Bottum résonne comme un chant triste, glauque, parfait pour l’enterrement de votre grand-père qui a traversé deux guerres, bossé comme un chien et passé les 10 dernières années de sa vie à ruminer sur la photo de sa femme décédée après un viol d’un soldat américain qui lui a refilé un virus ignoble… Parce qu’il n’avait que ça à faire dans son petit 30 mètres carré à peine payable avec sa retraite injustement faible. Chuck Mosley fait ce qu’il peut : le bougre est déjà bien entamé à cette époque, plus souvent ivre que sobre. Il apporte malgré tout une touche punk & hardcore en totale cohérence avec les synthés inquiétants de Bottum et les riffs métalleux de Martin. Le groupe se séparera de Chuck pour son manque d’implication et son attitude alcoolique ingérable – les autres membres ne sont pas des anges non plus, mais ils veulent avancer. Et puis il fait fuir les filles en fin de concert – et ça, c’est pas pratique pour conclure.

Rien dans cet album ne respecte les codes de la musique traditionnelle : on est bien loin de l’attitude carrée des Metallica (musicalement) ou du satanisme de Slayer qui exécute des riffs comme un matheux fait ses devoirs, même si ces derniers vous diront « Faith No More ? C’est de la putain de bombe ». A part les RedHot qui font leur petite crise de jalousie, le monde du rock les adore, Robert Plant (= Led Zeppelin) veut monter un groupe avec Bordin comme batteur, Ozzy (chanteur de Black Sabbath) aussi (ce qui arrivera plus tard), et Gould influence beaucoup de bassistes. On entend déjà les prémices des terreurs que seront Malpractice ou Cuckoo For Caca dans les prochains albums. Faith No More m’a toujours fait penser à une maison hantée musicale où l’étrange et l’incompréhensible côtoient le réel comme un bon épisode d’X-files.

Pour apprécier ces albums, il ne faut pas les écouter pépère dans son canapé comme on se dirait « Tiens, je vais m’écouter un p’tit Linkin Park». Ces albums se dégustent quand vous touchez le fond avec perte et fracas comme après avoir appris de votre médecin que votre toux n’est pas due à un simple rhume mais qu’il va falloir faire des examens pour dépister un cancer des poumons, ou lorsque votre copine vous larguera parce qu’elle aime les gang bang, ou quand vous rentrerez d’une soirée où un mec vous a pété le nez – ce que vous ne constatez que le lendemain, car vous étiez trop ivre pour sentir la douleur. Ces albums sont glauques, sonnent années 80 (contrairement aux deux derniers albums qui ne sont pas marqués par leur époque), le chanteur pue l’alcool, et vous le sentez depuis vos écouteurs. Leur musique n’est pas mauvaise ni bâclée, c’est la sensation qu’elle procure qui fera dire à certains que c’est la plus mauvaise période de FNM… Et la production un peu (beaucoup?) vieillote n’aide pas non plus à apprécier ces deux moutures.

« Accoucher » d’ une musique aussi sombre et décalée en 1985, surtout pour un premier essai, me semble un pari réussi venant d’un groupe aussi jeune et ambitieux. La suite: The Real Thing sera l’album le moins sombre, donc celui qui se vendra le plus. Angel Dust viendra équilibrer les deux : la noirceur des débuts avec la qualité de TRT (The Real Thing). FNM n’aurait jamais pu devenir ce qu’il est devenu sans cela, et ne croyez pas que tout repose sur Patton par la suite… Gould, Bottum Bordin et Martin étaient fous bien avant leur rencontre avec le jeune italien.

J’aime la violence
J’aime les rues crades
J’aime les injustices
J’aime le racisme
J’aime l’esclavage
Donc, J’aime ce monde
We care a lot

Après ces débuts très « glauques », le groupe décide de virer leur chanteur, après avoir composé leur prochain album. Ils cherchent une nouvelle gueule pour hurler sur leurs compos. Rappelez-vous, c’est Mike Patton qui s’y collera grâce à cette K7 de Bungle laissé au groupe alors que ce dernier se produisait en live près de chez lui. Sur le moment Mike hésite, car il est partagé entre son boulot (il vend des disques pour un patron qu’il déteste et le sous-paye, du coup, il lui vole chaque jour des vinyles entre autres objets pour réajuster le tir) et Mister Bungle, qui, en 1988-89, commence à se démarquer et attire certains producteurs. C’est Trey Spruance qui le pousse à dire oui mais à une condition, que Mister Bungle fasse toujours partie de ses projets.

Faith No More et Mike Patton étaient faits pour se rencontrer, et j’en veux pour preuve la suite de la discographie du groupe, qui va dangereusement bousculer les codes du rock et de la musique en général en commençant avec The Real Thing en 1989, ce que nous découvrirons la prochaine fois.

6 thoughts on “[Zik] Du Death-Funk de Bungle au Post-Punk FaithNoMorien”

  1. Merci à tous les instabloggeurs et à tous ceux qui prendront le temps de lire cette partie. Le meilleure reste à venir… Bonne lecture.

  2. J’ai ouï dire que Mosley était viré à cause de problèmes de drogue. Qu’en est-il ?
    Je le savais ex-marié à une italienne mas pas d’origine italienne, le père Patton. Il l’est ?

  3. Mosley a été viré pour ; mauvais comportement (comme expliqué dans l’article: s’endort sur scène, manque d’investissement, d’ambition, manque de professionnalisme) et une voix pas assez puissante, voir fausse très souvent (les enregistrement studio utilisent pas mal de reverb pour camoufler ça).

    Patton est un américain. Il est fan des pays aux accents latins (il parle portugais, espagnol et Italien). Il a une fille aussi avec cette ex-italienne.

    Voilà

  4. Chez ces artistes, la drogue n’est pas un problème si le processus créatif n’est pas dégradé selon leur critère. Mosley avait un vrai problème d’addiction et sa vie de « junkie » passer avant beaucoup de chose. Bottum ne fut pas viré, pourtant, sa vie a doucement sombré dans les drogues dites « dures » (mais on en reparlera en 1995, quand il rentre en désintox)

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